Dans un précédent article, Solenn Gehannin, présidente de l’Association Bretagne Endométriose, nous a raconté l’errance médicale dont elle a souffert. Dans ce deuxième article, elle nous explique ce qu’elle a mis en place pour soulager la douleur dans son quotidien avec endométriose.
Pourriez-vous nous parler de la douleur ?
Depuis le début de mon adolescence, je souffre de douleurs à différents endroits, que je sais maintenant liées aux différentes lésions de mon endométriose profonde, aux niveaux :
- abdominal, avec une atteinte de nombreux organes (utérus, ovaire, péritoine, ligaments utérosacrés, intestins) ;
- du système urinaire (lésion à la vessie) ;
- rectal (nodule).
Ces douleurs localisées au niveau des lésions peuvent d’autre part irradier dans d’autres endroits. J’ai ainsi eu des douleurs très importantes au niveau lombaire.
Dans mon cas, contrairement à ce qu’on entend souvent, les douleurs ne se sont jamais limitées au moment des règles. Mais elles sont là tout le temps.
Pendant mes 9 années d’errance médicale, j’ai fini par me convaincre des messages sur la douleur reçus des médecins. Que j’étais psychologiquement instable, douillette et chochotte. Qu’il était donc normal d’avoir mal et que la douleur fasse partie de mon quotidien.
Même lorsque je faisais des recherches sur Internet et trouvé que mes symptômes pouvaient correspondre à de l’endométriose, et même si des infirmières de mon entourage l’ont évoquée, je doutais. Car pour moi, un docteur en médecine, qui a fait de longues études et écrit une thèse, savait de quoi il parlait. Il y avait pour moi la sacro-sainte parole du médecin, expert dans son domaine.
Je pense que même mes parents, qui ne m’ont jamais rien dit, ont dû également douter par moment de ce que je leur disais. Peut-être ont-ils imaginé une phobie scolaire, qui expliquerait la récurrence de ne pouvoir aller à l’école.
Quant à mon entourage scolaire (professeurs et élèves), ils ne croyaient pas à la réalité de mes douleurs. Ils se moquaient de moi pendant mes absences répétées.
Avant l’âge adulte, j’ai donc eu peu de soutien face à la douleur.
Quelle stratégie utilisez-vous contre la douleur ?
On ne guérit pas de l’endométriose. On teste et met en place des choses pour gérer la maladie au quotidien. Pour cela, on combine des traitements médicaux et des interventions non médicamenteuses pour soulager la douleur dans l’endométriose.
Traitements médicaux
Depuis ma majorité, je prends la même pilule contraceptive en continu. Je la supporte bien, elle me convient bien, elle améliore mon quotidien en termes de douleur.
Lorsque la douleur devient trop importante, je prends des médicaments anti-inflammatoires et anti-douleur, comme l’Antadys, sur prescription médicale. Je demande toujours l’avis de mon médecin pour ce type de traitement.
Je devais également subir une intervention chirurgicale pour améliorer mes douleurs au niveau rectal. Annulée en raison du Covid, j’ai finalement décidé de ne pas la reprogrammer. Même si certaines lésions sont opérables, l’opération ne guérit en effet pas l’endométriose. Les lésions enlevées peuvent revenir ensuite. Et on touche d’autre part à des zones sensibles.
Même si cela m’impacte dans mon quotidien, j’arrive mettre des choses en place pour gérer l’endométriose et soulager la douleur. Je ne trouve donc pas pertinent, aujourd’hui, d’envisager une opération.
Je le ferai peut-être plus tard, dans le cadre d’un projet d’enfant, si on se rend compte que certaines lésions empêchent ma fertilité.
Pratiques non médicamenteuses
Je ne pratique pas l’autohypnose. Car les séances faites avec la psychologue pendant mon adolescence n’ont pas montré une réelle réceptivité.
En termes d’alimentation, je n’applique aucun régime strict. Aujourd’hui, j’ai mangé des bonbons avec des collègues, hier un hamburger. J’ai essayé des choses, comme éviter le gluten. Mais en fait, tout éviter, se restreindre sur tout, c’est partir sur des trucs négatifs et développer potentiellement des troubles alimentaires.
Je n’ai évidemment aucun doute sur le fait que le régime anti-inflammatoire fonctionne sur certaines personnes. Et que contrôler ce qu’on mange ne peut pas faire de mal pour le corps. Mais en fait, cela reste très spécifique à chacune. J’ai des amies qui ont de l’endométriose. Chacune a son propre déclencheur : l’ananas pour une, le bœuf pour une autre.
Je fais attention à ne pas manger de plats tout préparés, mais c’est plus par mon éducation. Sinon, je ne me restreins pas. Si j’ai envie de manger des frites, je mange des frites. Je pense que j’ai assez à gérer avec cette maladie-là pour m’en rajouter. Je n’ai identifié aucun aliment qui déclenche des crises chez moi. Quand je mange plus gras, mon transit s’accélère comme chez toute personne. J’aurai alors plus de mal à gérer mes douleurs au niveau du rectum.
Je suis assez réceptive à la chaleur et à l’électrostimulation. Quand on a de l’endométriose, on demande toujours des cadeaux bizarres pour son anniversaire😊 J’ai ainsi demandé un appareil de la marque Beurer, qui chauffe et fait de l’électrostimulation en même temps. Je viens le placer sous le bas-ventre (je pense que ça doit aussi marcher ailleurs). Une fois branché, je joue avec l’intensité pour trouver celle qui me convient.
Enfin, pour améliorer mon quotidien, je fais du sport et j’ai une bonne gestion des émotions.
En quoi l'activité physique vous aide ?
Sur moi en tout cas, je trouve que le mouvement permet d’avoir moins mal. Cela habitue les organes en interne à rester mobiles et réduit ainsi les douleurs. Pour ces raisons, je fais donc pas mal de sport.
Le sport, une habitude
J’ai toujours aimé bouger, j’ai toujours été habituée. Tous les ans, petite, je devais choisir un sport, mes parents ne me laissaient pas le choix. Même si j’ai dû parfois mettre en pause les activités sportives, comme la natation ou le handball, à cause de certains traitements, j’ai toujours continué à pratiquer.
J’ai dû arrêter le sport en 2017 à cause de ma rupture des ligaments croisés. Pendant les études supérieures, c’était plus compliqué de le continuer vraiment. Donc j’avoue que j’ai alors un peu lâché. Même si, à la maison, je faisais quand même un peu de renforcement musculaire, sans jamais trop pousser.
J’ai vraiment repris le sport pendant le confinement, comme beaucoup de personnes je pense. Je me suis mise en fait à aller courir. 2km au début, j’étais au bout de ma vie, j’avais envie de cracher mes poumons. Ensuite j’ai été un peu plus loin, puis un peu plus loin et c’est comme ça que c’est venu.
Un équilibre sportif à trouver, à l'écoute du corps
Quand on fait du sport, ça peut faire mal à certains moments. J’ai déjà essayé de forcer. J’avais alors en tête la réflexion des médecins « t’es une chochotte ». Mais je me suis rendu compte que ça ne sert à rien.
Premièrement, on fait mal les mouvements qu’on veut exécuter, donc on a plus de risque de se blesser.
On se retrouve d’autre part en position antalgique. On ne trouve donc pas de plaisir à faire du sport comme ça. Le sport est censé apporter un mieux-être, aider à soulager la douleur dans l’endométriose, mais pas faire super mal. Avoir des courbatures le lendemain et encore plus le surlendemain est normal, mais les autres douleurs, non.
Et surtout après, on déguste. Les crises qui peuvent survenir après avoir poussé son corps déjà douloureux durent parfois des jours.
Si l’on conseille souvent le sport aux personnes avec maladie chronique, c’est en prévention, pas pour qu’elles se fassent plus mal.
Ce n’est pas pendant une crise qu’on fait du sport. On fait du sport un peu tous les jours pour que le corps vive mieux.
Aujourd’hui, j’écoute mon corps. Quand je sens que ma douleur vient de l’endométriose, je ne force pas.
Comment gérez-vous vos émotions ?
Dans toute vie, si on est positif, on ressent un mieux- être, on se tient mieux, on est plus souriant, on est plus avenant. Je pense que ça joue beaucoup dans ma vie avec la maladie.
En colère après le diagnostic
Au début, j’ai éprouvé de la colère.
Entre mes 11 et mes 18 ans, il y avait largement le temps de me faire passer les bons examens plutôt que de me mettre sous anti-dépresseurs, sous kétamine et me faire suivre une psychothérapie. On n’a pas octroyé de crédit à ma parole de mineure, on m’a persuadée que tout était dans ma tête.
Lorsqu’à 18 ans, on m’a enfin proposé de passer des examens gynécologiques, indispensables pour détecter l’endométriose, ils n’ont pas été analysés correctement. Je ne me sens pas légitime pour dire si c’est facile ou pas de lire les résultats d’imagerie, car ce n’est pas du tout mon domaine d’expertise. Mais je pense surtout qu’il n’y a pas de honte aujourd’hui, quel que soit son métier, à dire « je ne sais pas mais je vous renvoie vers un confrère qui saura mieux que moi. »
Dans mon travail, si on me pose une question à laquelle je n’ai pas la réponse, je vais me renseigner auprès de collègues. Je vais passer des coups de fil pour avoir l’info. Bref je vais faire au mieux pour aider la personne que j’ai en face de moi.
J’étais en colère car ces cellules endométriales étaient là depuis le début de mes règles et elles étaient visibles sur l’IRM de mes 18 ans, comme me l’a confirmé le gynécologue de l’Hôpital Saint-Joseph à Paris. Il m’aura donc fallu attendre encore 2 ans pour obtenir enfin ce diagnostic.
La colère ne fait pas avancer
Je me suis vite rendu compte qu’avec de la colère, on n’avance pas, on ne fait pas grand-chose. Elle ne sert à rien dans la lutte contre l’ignorance.
Cela fait peut-être très « Gandhi » de dire ça, mais c’est vrai.
Au lieu d’une force négative alimentée par la colère, j’ai donc préféré utiliser mon énergie ailleurs, de manière positive.
C’est ainsi que j’ai monté l’Association Bretagne Endométriose, pour faire avancer les choses. Pour que mes 3 petites sœurs, qui ont entre 4 et 14 ans, ne vivent pas mon parcours. Pour que les symptômes les plus courants de l’endométriose (douleurs, saignements, règles qui empêchent d’avancer) évoquent tout de suite la maladie. Quand on les entend, on doit penser à l’endométriose.
C’est ça le combat que je mène aujourd’hui.
Engagement associatif
Le rôle de notre association est d’informer, de faire passer le message que les règles qui font mal et empêchent de vivre, ce n’est pas normal.
On intervient tout d’abord auprès de ceux qui travaillent avec des publics fragiles ou jeunes (travailleurs sociaux et professeurs). Notamment à travers le collectif d’associations de la mairie de Brest mis en place pour la santé sexuelle et la vie affective.
On participe également à certaines conférences avec des médecins, notamment les lundis de la santé. [NDLR : il s’agit de conférences-débat mensuelles organisées par la ville de Brest et animées par des spécialistes santé.]
On intervient par ailleurs auprès d’élèves (collèges et lycées) et d’étudiants (futurs infirmiers notamment). Il y a beaucoup de tabous et de honte à lever. Quand je parle de règles, de sexualité, d’utérus, de vagin, de pénis, les élèves me regardent comme si je disais des gros mots. Alors que c’est comme si je parlais du coude, du bras, du cubitus. Et qu’il s’agit de sujets qui font partie de la vie et permettent à l’espèce de perdurer. Même les filles n’osent souvent pas utiliser le mot « règles » mais plutôt « ragnagna » !
Dans notre société, il y a d’autre part la volonté de se comparer, faire mieux que les autres. Quand on commence à montrer sa faiblesse par rapport aux autres, ce n’est pas facile pour les jeunes d’en parler librement. On doit aussi les aider à le faire.
Quel impact de la maladie sur votre vie actuelle ?
Je sais que je serai malade toute ma vie, c’est comme ça.
Même si les crises violentes restent rares, j’ai régulièrement des douleurs (tous les 2 mois), un fond douloureux, sans réussir à en identifier vraiment l’origine. Peut-être quand je suis fatiguée, quand je suis stressée. Certains rapports sexuels me font mal. Il n’y a pas vraiment d’éléments déclencheurs évidents.
Vie professionnelle
Je ne sens pas trop d’impact au quotidien dans mon poste d’assistante administrative. Si je reste trop longtemps assise, je me lève, je marche, je vais prendre un café et ça passe.
Cela m’est déjà arrivée d’être incapable d’aller travailler, à vomir de douleur, à avoir des malaises. Cela m’arrivera encore sans doute.
Quand j’arrive sur un poste ou dans une équipe, je parle de l’endométriose. J’explique ses impacts. Sans dire que j’ai plus de légitimité maintenant que je suis diagnostiquée, au moins je ne suis plus la flemmarde de l’équipe. Peut-être qu’il y en a à qui cela ne plaît pas ou le voit d’un mauvais œil car c’est pénalisant. Mais je n’y peux rien, je ne choisis pas. Ce n’est pas par flemme que je ne viens pas au travail mais parce que parfois, je suis au bout de ma vie.
Dans mon poste actuel, je n’ai pas subi de discrimination à l’annonce. De manière officieuse, je peux avoir des réflexions de collègues « mais tu es tout le temps malade ». J’ai également subi des remarques là où je travaillais avant, dans le secteur bancaire. « On ne peut pas compter sur toi, on est obligé de décaler des rendez-vous ».
Suivi médical
Je fais une IRM une fois par an pour voir l’évolution des lésions. En un seul examen, ils font un balisage pelvien. Il n’y a pas de norme au niveau national ni européen sur la façon dont se déroule l’examen. Chaque centre décide se son protocole.
Sur Brest, on fait un lavement la veille au soir puis le matin de l’examen. Sur place, on me fait une piqûre de glucagène, produit qui va empêcher les mouvements gastriques intestinaux pour figer l’image. Ils mettent d’autre part dans le vagin 2 pipettes de gel d’échographie et une dans le rectum.
Ce n’est pas un moment agréable à passer. À 7h30 du matin, on n’a plus rien dans l’estomac ni dans l’intestin, on montre ses fesses à tout l’hôpital, on porte une blouse pas belle, on a froid, et on subit des examens invasifs et désagréables.
Pour les lésions rectales, il faut faire d’autres examens, mais pas tous les ans. J’ai ainsi déjà fait une colonoscopie, une fibroscopie et une endoscopie.
Je me déplace toujours à Paris pour faire relire les résultats d’imagerie par l’équipe qui a posé mon diagnostic. J’éprouve en effet une certaine défiance de par mon expérience passée.
À Brest, je vois une sage-femme qui fait de l’acupuncture. Et j’ai eu une première consultation avec une gynécologue spécialiste de la maladie qui vient d’arriver de Bordeaux.
Vie de couple
Mon compagnon est évidemment concerné par la maladie.
En termes de sexualité, l’endométriose a plusieurs impacts. L’acte sexuel peut toucher plusieurs zones douloureuses (nerfs, muscles…). Psychologiquement, on peut avoir un certain blocage, difficile de se dire « je vais passer un moment sympa » quand on a peur d’avoir mal. Mais j’ai bénéficié d’un suivi qui m’a aidée. Des gynécologues, des sexologues, des kinés peuvent en effet agir sur la rééducation pelvienne.
La question de la fertilité, pas dans notre projet de vie aujourd’hui, risque également d’impacter notre vie de couple. Avoir un enfant sans aide de la médecine sera peut-être compliqué, c’est ce qui me fait le plus peur.
La maladie impacte également mon compagnon en tant qu’aidant. Quand on habitait en appartement, il a dû plusieurs fois me porter sur 4 étages pour m’accompagner aux urgences. Parfois je me vidais de mon sang, c’est lui qui m’emmenait à l’hôpital. Aujourd’hui, quand je fais une crise, il sait exactement quel médicament me donner pour soulager la douleur due à mon endométriose.
Même s’il ne ressent pas ce que je vis dans sa chair, je pense que ça peut être plus dur pour lui. Car quand on ne ressent pas la douleur, quand on ne sait pas ce que c’est, on a peut-être tendance à extrapoler le truc, en se disant « mon dieu, elle va mourir ».
Parce que les crises peuvent être très violentes à voir. On hyperventile, on pleure, on crie. Dans ces cas-là, j’ai tendance également à me faire mal, je me griffe la peau du ventre, comme un réflexe pour tout arracher à cet endroit-là (mais ça ne marche pas comme ça !).
Le mot de la fin
Grâce à de tels partages, les personnes atteintes par la maladie trouvent des conseils et de l’espoir. Même si les solutions qui marchent pour l’une ne fonctionnent pas nécessairement pour une autre, cela donne des pistes à explorer.
Quant aux personnes non atteintes, elles peuvent mieux comprendre ce que vivent les endogirls, pour mieux les aider et les respecter.
Quant à la contribution de Rue du Colibri à la gestion de la douleur, c’est ici ➡️➡️➡️
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