Aller au contenu
gouttes rue du colibri
Article – blog du colibri

Accompagnement d’un enfant malade : témoignage

Photo de Manu et de sa fille Carla, pendant l'accompagnement de son enfant malade du cancer
Nous avons eu le plaisir d’échanger avec Manu Vercasson sur son sentiment en tant que parent lors de son accompagnement de son enfant malade pendant son cancer.

Manu est en effet le papa de Carla (19 ans), une jeune femme en rémission de la maladie d’Hodgkin. Elle avait partagé avec nous son parcours courageux de lutte contre le cancer.

Nous avons ici retranscrit au plus près l’histoire de Manu, du doute à l’accompagnement au quotidien. Nous lui avons demandé aussi, en fin d’interview, quels conseils il donnerait à des parents qui s’apprêtent à vivre cette même épreuve.

Comment as-tu appris la nouvelle du cancer de Carla ?

Si on en revient au début, nous étions en vacances en famille. C’était le dernier jour des vacances, en juillet 2021. On était heureux, on avait passé de supers vacances. C’est ce jour-là que Clara nous a dit : « Au fait, je ne vous ai pas montré, regardez ! ».

Elle a alors soulevé ses longs cheveux et nous a montré son cou, il y avait des bosses, comme des œufs sous la peau. Tout de suite, on s’est regardé avec ma femme et on s’est dit : « Oh là ! Ce n’est pas normal. Il y a un truc qui ne va pas. ». Tout est parti de cette soirée-là.

J’ai tout suite fait ce qu’il ne faut surtout pas faire : regarder sur internet. Les recherches ont mené à deux solutions :

  • Soit c’est une infection : les ganglions ne restent pas longtemps mais sont douloureux, dans ce cas ça ne semble pas grave.
  • Soit ils restent plus longtemps et ne sont pas douloureux, dans ce cas c’est plutôt grave car ça ressemble à un lymphome.

Elle, ça faisait plus d’un mois qu’elle avait ça, et ça n’était pas douloureux.

En rentrant de vacances, fin juillet, on est très vite allés voir notre médecin traitant qui a trouvé ça inquiétant, et a demandé immédiatement une échographie et une prise de sang. L’échographie a révélé la présence de ganglions dans la zone du cou et de la clavicule.

Quand on est retournés voir notre médecin, il nous a dit : « Il vaut mieux s’adresser au bon Dieu qu’à ses Saints ». Donc tout de suite, il nous a orientés vers le professeur Ghesquieres du service hématologie de Pierre-Bénite. Au premier rendez-vous, ma femme y est allée avec Carla, il n’a rien dit. Il y a eu un deuxième rendez-vous pour faire la biopsie.

Le résultat de la biopsie est tombé le 17 septembre, presque 2 mois après.

Comment t’es-tu senti à l’annonce de cette nouvelle ?

Dès le départ j’ai eu un mauvais pressentiment. Donc début septembre, je suis retourné voir notre docteur. Quand il m’a vu arriver, j’étais dans une angoisse terrible.

Il m’a demandé : « Pourquoi vous êtes comme ça ? »
Je lui ai dit : « Je sais ce qu’a Carla… »
Et il m’a dit : « Oui, il faut se préparer au pire… Je pense que c’est ça… ».

Photo d'un tunnel, qui représente le parcours d'accompagnement d'un enfant malade
À partir de ce soir-là, je me suis arrêté de travailler, ça devait être le 6 ou 8 septembre. Le docteur m’a arrêté pour dépression.

Moi je le savais mais je ne voulais pas angoisser Carla, donc je ne disais rien. Quand j’en parlais avec ma femme, elle était dans le déni, elle me disait qu’elle était confiante car les prises de sang étaient bonnes.

Justement, les prises de sang. On ne comprenait pas pourquoi elles étaient très bonnes, il n’y avait rien. Quand j’ai demandé à notre médecin, il m’a dit : « J’aurais aimé qu’elles soient mauvaises, qu’il y ait une infection, comme ça j’aurais donné des antibiotiques et les ganglions seraient partis d’eux-mêmes. ».

Plus ça allait, plus j’étais dans une angoisse qui montait, qui montait… jusqu’au 17 septembre, le jour du diagnostic.

Et c’est marrant, mais quand le professeur nous l’a annoncé, j’étais presque soulagé, car j’étais au bout de mon angoisse. Par contre, Carla et sa maman étaient effondrées parce qu’elles ne s’y attendaient pas.

Quels traitements après ce diagnostic ?

Il y a d’abord eu la préparation chimio, on a vu une gynécologue qui lui a prescrit un médicament pour stopper les règles afin de protéger ses ovules. Il y a aussi eu un rendez-vous avec l’anesthésiste.

Elle a commencé sa chimio vers le 8 octobre jusqu’au 20 janvier 2022, sa dernière chimio.

Quand elle faisait ses chimios, je montais avec elle et on se faisait rembourser les trajets.

Comme elle a eu deux grosses chimios au départ espacées de trois semaines, elle y restait trois jours donc moi, je montais le premier jour, je redescendais à la maison, je remontais le lendemain, je la ramenais. Pareil pour la deuxième grosse chimio.

Et ses 12 chimios qu’elle a eues ensuite, qui s’appellent les ABVD, toutes les semaines et demi, c’était juste en ambulatoire, mais je montais quand même avec elle.

Elle est aussi allée aux urgences deux fois parce qu’elle a eu de la fièvre pendant ses aplasies. La première fois, c’était à côté de chez nous, pour ensuite finir à Pierre Bénite, là elle y est restée une semaine à chaque fois.

Je ne dormais jamais là-haut, j’aurais pu, mais non. On est à ¾ d’heure de l’hôpital, je descendais à chaque fois, mais je remontais toujours, j’étais tout le temps-là. Tout le temps présent.

J’étais assez surpris qu’en service hématologique de Lyon Sud, on entre comme dans un moulin, personne ne demande le pass sanitaire, tout le monde peut rentrer. Covid ou pas Covid, je n’ai jamais eu de problèmes pour rentrer.

Comment as-tu vécu les injections de chimio ?

D’un côté, j’étais content parce qu’ils étaient en train de mettre des médicaments pour combattre cette saloperie. D’un autre côté je me disais « autant de produit dans un si petit corps ??».

Je ressentais les deux : j’étais rassuré que ces chimios s’effectuent, mais j’avais peur et je pensais aux effets secondaires qu’elle allait avoir ensuite. Mais je voulais tellement ne plus voir ces ganglions, j’avais tellement envie qu’elle guérisse, ça me rassurait plus que l’inverse.

Quel terme pour te qualifier : accompagnant, aidant... ?

 « Accompagnant ».

Parce que je me suis voué à 100%, j’ai arrêté de vivre, j’ai arrêté de travailler, je ne pensais qu’à ça du matin au soir. Donc oui, « accompagnant ». Avec un rôle d’accompagnement de son enfant malade.

Être là tout le temps, à 100%. J’avais l’impression de ressentir tout ce qu’elle ressentait, dans ses effets secondaires ou autres. J’avais une empathie trop importante, parce que ça me rendait malade ! J’ai perdu 6 ou 7 kilos en quelques semaines.

Le fait de ne pas travailler faisait que j’avais du temps… donc je faisais sans arrêt des allers-retours à la pharmacie, à l’hôpital avec elle, des coups de téléphone en pagaille. J’étais tout le temps-là.

Je n’écoutais plus de musique, parce que moi, je suis musicien. Donc j’ai mis toutes mes passions de côté pour être à 100% avec elle.

Photo d'une enfant malade, Carla, pendant son cancer, où elle a bénéficié de l'accompagnement de son père

Comment Carla a-t-elle vécu cet accompagnement ?

Quand elle allait bien, je l’énervais parce qu’elle n’avait pas besoin de moi, j’étais tout le temps-là, à lui demander comment ça allait, à lui courir derrière. Alors des fois on s’engueulait.
Mais quand ça n’allait pas, elle était contente que je sois avec elle, que je lui tienne la main. Elle me disait des mots gentils, elle était très contente que je sois là.

Le plus difficile dans cet accompagnement ?

Pour moi, le plus dur était de lui remonter le moral quand elle ne l’avait pas. Je disais tout le temps : « Ça ne va pas durer, c’est une période, ça ne va pas durer.». Mais ça, au bout d’un moment, ça l’énervait.

C’est pareil dans tout accompagnement d’un enfant malade. Parce qu’une fois qu’on a épuisé tout ce qu’on a en idée pour leur remonter le moral, on ne sait plus quoi dire après. Les réponses ont ne les a pas, donc on donne nos réponses à nous, mais elles ne conviennent pas.

C’est le plus difficile : trouver les bons mots pour leur remonter le moral. Le reste, c’est technique : aller à la pharmacie, ouvrir les médicaments au moment où il faut, la logistique avec les infirmières à domicile. C’est technique, ce n’est pas dur. Enfin ce n’est pas dur, le plus dur c’est de trouver les bons mots.

Je lui disais toujours : « Je vois bien que ce n’est pas ce que tu veux entendre, mais moi je n’ai que ça. Je suis désolé, je n’ai que ça. » Et voilà.

Avais-tu le même rôle que ta femme ou un rôle différent ?

Différents. Parce que d’entrée de jeu, on a compris que c’était moi qui allais m’en occuper et pas elle. Déjà pour une raison technique : ça fait 20 ans que je suis dans la même entreprise, je m’entends bien avec mon patron et mon chef donc ils comprennent ce qui nous arrive.

Ma femme, elle, est dans son entreprise depuis pas longtemps, elle est dans une NAPI, dans laquelle elle n’est toujours pas embauchée, et elle ne voulait pas s’arrêter, pour ne pas perdre son travail.

Et d’une autre part, rester toute la journée ici avec Carla, je crois que ce n’était pas pour elle, il fallait qu’elle parte se changer la tête, et elle savait que moi j’étais là.

On s’est donc partagé les rôles : moi je gérait tout l’accompagnement de notre enfant malade, de A à Z : pharmacie, médicaments, infirmières, appeler les taxis, etc. Odile, ma femme, arrivait le soir et me demandait comment ça s’était passé, comment elle allait, etc.

Donc les rôles étaient bien définis jusqu’à ce que je reprenne le travail il y a deux semaines, et là, tout s’est inversé. Moi je ne m’occupe plus de rien, et c’est ma femme qui s’occupe de tout. Il y a moins de choses à faire étant donné que Carla a fini ses traitements, mais voilà, moi je ne m’occupe plus de rien maintenant. Les rôles se sont inversés.

Et toi, tu t’es fait aider ?

Non, je ne me suis pas fait aider, ça ne m’est même pas venu à l’esprit. Ma mère, qui est très proche de Carla, m’a beaucoup aidé. Quand j’avais vraiment des crises d’angoisse, elle venait me rassurer etc.

J’ai aussi un grand frère qui était très proche. La famille on va dire. On est bien entouré. Mais sinon, non, je ne me suis pas fait aider.

Qu’est-ce que cette expérience t’a appris sur toi ?

Que je ferais n’importe quoi pour mes enfants, ça je l’ai compris. Je ne pensais pas les aimer autant. On ne s’en rend pas compte en fait.

Quand il ne nous arrive rien, on dit « Ça va ? Les enfants vont bien ? ». Mais cette phrase, elle est tout le temps revenue dans ma tête, « Les enfants vont bien ? ». Quand la réponse est « non », ça change tout.

Je me suis rendu compte que je ferais n’importe quoi pour eux, que je mourrais, que je me couperais un bras.

Quelque chose a-t'il changé dans la relation avec ta fille ?

Alors bizarrement, non. Parce qu’on était très proche, vraiment très proche.

Par contre, pour ma femme, qui n’était pas proche de sa fille, ça les a rapprochées, mais alors du tout au tout.

En quoi le rôle d'aidante de ta mère a différé du tien ?

Je me suis souvent mis à la place de ma mère et je me dis que ça devait être pire, car elle s’inquiétait pour sa petite fille, mais elle s’inquiétait aussi pour moi. Donc je l’admire parce que le rôle qu’elle a eu pendant la maladie de Carla, il était incroyable.

Je la remercie mille fois parce qu’elle a eu ce rôle de psychologue qu’on n’a pas eu. Pour moi, et pour Carla, et elle a surmonté ça avec une force spectaculaire alors qu’elle a 78 ans, qu’elle fait 1m40, veuve, des problèmes de cœur, je trouve ça incroyable et je l’admire.

Comment évolue ton rôle à la fin de cette épreuve ?

Je suis chauffeur routier donc j’ai un boulot qui me prend pas mal de temps. Je ne m’occupe plus de rien, je suis redevenu le papa d’il y a un an, qui rigole, qui fait le con, on parle de tout et de rien, comme avant.

Mon rôle d’aidant, je l’ai mis au vestiaire. D’un coup. C’est ma femme qui s’en occupe et ça marche très bien.

Des conseils à donner à d’autres parents ?

Je leur dirais de ne pas angoisser autant que moi je l’ai fait, mais ça c’est facile à dire !

Je leur dirais qu’il faut faire confiance aux médecins, qu’il faut bien suivre tout ça car un détail manqué peut augmenter une angoisse.

On ne sait pas quand on commence un truc comme ça, personne n’est préparé à ça. Maintenant que nou,s on l’a vécu, je dirais aux parents qui vont vivre ça qu’il faut avoir confiance. En général, l’accompagnement d’un enfant malade se passe bien, même si ce n’est jamais facile, qu’il y a des petits trucs qui ne sont pas bien huilés dans la machine, qu’on a l’impression qu’on est délaissé des fois, on ne l’est pas.

Pourquoi t'es-tu senti délaissé ?

Le truc c’est souvent « Ne vous inquiétez pas. On va vous appeler ». Par exemple, quand sa prise de sang n’était pas bonne, on téléphonait et l’infirmière disait : « Je vois ça avec le médecin, je vous rappelle. ».

Et là, souvent, ils ne rappellent pas dans le délai qu’ils viennent d’annoncer. Ça génère une angoisse terrible. Donc je rappelais.

J’étais un peu le mec chiant, ils doivent tous me connaître dans le service ! Si je n’avais pas l’infirmière coordinatrice, j’appelais le service, si je n’arrivais pas à les avoir ou qu’ils ne me donnaient pas satisfaction, j’appelais l’infirmière du professeur.

J’avais l’impression que j’avais la réponse parce que je les avais emmerdés. Alors ce n’était peut-être pas pour ça, je ne sais pas. Ma femme me disait « Mais arrête de les emmerder ça ne sert à rien, t’as déjà appelé ». Mais au bout d’un moment, j’avais le résultat.

Comment se protéger mentalement quand on est aidant ?

Tout le monde me disait : « Attention, tu vas finir par tomber plus malade que ta fille ». Et je pense que j’aurais eu besoin de quelqu’un qui vienne me calmer, me remonter le moral.

S’il y a un truc que je retiendrais, c’est qu’on nous avait dit que l’infirmière coordinatrice serait là tout le temps, on avait l’impression qu’elle aurait joué le rôle de quelqu’un qui allait être là pour nous épauler, nous remonter le moral.

Mais en fait, elle n’a pas du tout joué son rôle, elle ne répondait même pas au téléphone… Je ne veux pas la blâmer, mais moi je lui en veux quand même.

On se sent vachement seul, délaissé, « débrouillez-vous ». Donc on s’est débrouillé.
Alors l’infirmière coordinatrice, je me suis fâché avec elle, quasiment à la fin du traitement de Carla. On n’arrivait pas à avoir sa dernière date de chimio, qui repoussait tout le temps, ils nous laissaient dans l’attente.

Elle m’appelle en me disant : « Je ne veux pas vous gronder mais il faut arrêter de téléphoner à tout le monde ».

Je lui ai dit : « Écoutez, on est seul là, depuis le mois d’août, on est dans une angoisse terrible et quand je vous appelle, vous n’êtes jamais là. ».

Elle était en colère et me dit : « Mais faut pas croire, Carla n’est pas oubliée, on est là. ».

Alors que c’est le sentiment qu’on avait, d’être oublié.

Qu’est-ce que cette expérience a changé en toi ?

Je ne suis pas de nature matérialiste, mais là je le suis encore moins.

Les petits soucis qui nous tracassaient avant, maintenant, c’est de la rigolade ! Il faut prendre les bons moments quand ils viennent à nous, arrêter de repousser les choses. « Non mais on verra plus tard »,

Non ! Les bons moments, en famille, où il y a de l’amour à partager, il faut le faire tout de suite, et à 100%.

As-tu un point à ajouter ?

J’ai découvert que ma fille a une force incroyable. Elle qui n’avait pas confiance en elle, elle a surpris tout le monde ! Je pense que ça ne sera plus la même, comme nous.
La chose qui a été bénéfique là-dedans, c’est que ça l’a rapprochée de sa mère, alors qu’elles n’étaient pas du tout proches, je trouve ça génial.
On ne sera plus les mêmes, nous les Vercasson, on ne sera plus les mêmes. En mieux je pense. On nous verra comme une famille pour qui tout va bien, depuis toujours, alors qu’on a traversé un truc qui nous a rendu plus forts.

Un grand merci à Manu pour ce partage de ce qu’il a vécu pendant l’accompagnement de son enfant malade.

Nous expédierons toutes les commandes passées jusqu’au 23 décembre à 16h.

Et reprendrons les livraisons le 2 janvier.

Passez de Belles Fêtes !