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gouttes rue du colibri
Article – blog du colibri

Boop Project, pour parler du cancer autrement

Si vous êtes adepte d’Instagram, vous connaissez déjà certainement la page du “Boop Project”. Sa créatrice, Edith Desmarais, utilise les supports photos et vidéos pour libérer la parole autour du cancer, en parler autrement. Un compte plein d’humour et de bonne humeur, que nous présente aujourd’hui Edith.

De quand datent tes idées de films : de l’annonce du cancer ?

Non, pas du tout ! Il a fallu un sacré bout de temps avant que je n’aie l’idée de parler ainsi du cancer. Je suis styliste et je travaillais dans le prêt-à-porter de luxe. Je suis quelqu’un de très créatif.

Le cancer, une histoire de famille

Quand je suis tombée malade, je me doutais que ça allait arriver un jour ou l’autre. Ma mère avait déjà eu 3 cancers du sein. Ensuite, tout s’est passé très très vite, j’ai été opérée 3 semaines après la découverte de ma tumeur. J’ai alors enchaîné sur 6 mois de chimiothérapie. C’est à la fin de ces traitements que j’ai commencé à avoir l’idée de parler du cancer en me filmant. Ma mère m’avait dit un jour : “Edith, tu vas voir, la chimio, c’est pas si difficile que ça ». Je me suis dit qu’elle avait vite oublié ! Du coup, c’était essentiel pour moi de me filmer et de prendre des photos de cette période. L’idée, c’était vraiment de me souvenir de ce moment où j’étais au plus bas et pas forcément d’en faire quelque chose.

Mes enfants m’ont tous accompagnée au moins une fois en séance de chimiothérapie, c’était important pour moi qu’ils comprennent ce que je vivais. À l’occasion de mon avant-dernière séance, ma belle-fille Jeanne Picard Depalle, assistante réalisatrice, m’a proposé de me filmer. J’ai alors commencé à imaginer des scénarios. Je ne suis pas du tout familière avec le théâtre, mais j’ai toujours aimé me mettre en scène. Une fois les premiers montages vidéos faits, je les ai montrés à Suzette Delaloge, oncologue médicale spécialiste du cancer du sein à l’institut Gustave Roussy. Elle a adoré et m’a encouragé à continuer ! Elle m’a ainsi confié que ces vidéos étaient tout ce que le service communication de l’hôpital n’arrivait pas à faire pour parler du cancer.

Les backstages du Prix Pink Ribbon Estée Lauder

Image d'une femme lors d'une séance de radiothérapie pour parler du cancer autrement

Ce que je voulais dire c’est que la photo a été fait avec un iPhone qui date et comme il n’y avait pas de lumière, la photo est sortie pixelisée. Le jury a pensé que c’était un choix du photographe, alors que non.

Ma radiothérapie s’est terminée début août 2019, ce qui signait la fin de mes traitements. Cette photo a été prise à l’occasion de ma dernière radiothérapie par une des manipulatrices radio Vanessa Corbelin. La veille, j’avais préparé mon petit sac avec ma perruque rose, ma culotte rose et mes talons roses et j’avais tellement hâte de prendre cette photo sur la table de radiothérapie ! Je voulais créer un personnage hybride de Belle au Bois Dormant et de guerrière Jedi. Lorsque les manipulatrices radio m’ont vue, elles ont éclaté de rire ! Vanessa a alors pris la photo.

J’ai ensuite proposé à Vanessa de participer au concours Pink Ribbon dont le thème était “HEROES”. 👏 J’aimais beaucoup l’idée du duo soignant – soignée. Dans le dictionnaire, la définition du héros a deux facettes que j’ai adaptées au parcours de soin : le héros peut être celui qui se fait soigner et qui va jusqu’à bout de ses traitements ou le soignant qui fait tout ce qu’il peut pour sauver des vies.  
Le jury a choisi notre photo. Il a pensé que la photo pixellisée était un choix de notre part alors que non ! On avait simplement pris la photo avec mon vieil iphone.
Ça s’est fait en une fraction de seconde. Vanessa et moi sommes un peu liées à vie maintenant. Lors de la remise de prix, ma photo était affichée en grand devant la tour Eiffel ! Mes parents, qui habitent au Canada, étaient très fiers de moi.

Club Medoc’ et Bien choisir sa perruque, c’est quoi ?

Nous allions partir en vacances et j’ai commencé à me sentir mal. J’avais ainsi mal à la gorge et la nuit suivante, je me suis retrouvée aux urgences. J’ai alors fait une infection pulmonaire liée à la radiothérapie. Donc on a dû annuler nos vacances, on les a passées à l’hôpital. Je me suis dit que je ne pouvais pas rester dans une phase négative. Aussi, j’ai proposé à mon copain qu’on fasse un remake de nos vacances à l’hôpital ! “Club Medoc’” est né. Pour ce faire, on a été jusqu’à installer un camping dans l’institut Gustave Roussy.

La première fois que j’ai essayé de tourner la vidéo “Bien choisir sa perruque”, je me suis mis en tête que mon personnage devait avoir un côté dramatique. Quand je me suis vue, j’ai en fait trouvé ça super glauque ! Du coup, j’ai complètement recommencé au salon Fée pour elle (Bahan désormais) à Paris. Je leur ai ainsi expliqué mon projet et ils ont été super sympas, ils m’ont filé une douzaine de perruques. J’étais très malade, mais j’étais tellement excitée par le projet que j’ai tout donné !

Parler du cancer de manière décalée : photo d'une scène de natation improvisée à l'hôpital

Le personnel soignant est-il partant à chaque nouvelle idée ?

Oui, l’Institut Gustave Roussy m’accompagne dans mes projets. Ces vidéos ont pour but d’égayer le quotidien des patients. Je les ai faites pour qu’elles soient présentées dans les hôpitaux. Tous ces traitements affectent beaucoup le moral des patients, je voulais trouver une manière de les rebooster.

Ton rôle est-il aussi informationnel ?

Au début, j’ai créé uniquement des fictions, mais maintenant le projet a bien évolué. Je suis désormais accompagnée d’un réalisateur et d’un producteur. On travaille sur 10 thématiques, chacune comprend 3 films. Il y aura à chaque fois une fiction, un témoignage patient et un témoignage du personnel de santé pour parler du cancer dans sa globalité.

Pour répondre à ta question, oui, il y aura maintenant une part d’information et de ressenti dans chaque film. Un professionnel de santé s’exprimera sur son ressenti, lors des annonces par exemple. Ce que je cherche à démontrer, c’est que les patients et les professionnels de santé sont des êtres humains avant tout.

Ce n’est pas parce que le médecin est érudit qu’il ne ressent pas des choses. Je prends l’exemple de ma mère qui n’a pas été beaucoup à l’école, devant le médecin, elle n’ose pas poser des questions. Elle a l’impression qu’elles sont stupides, inintéressantes. Et parfois elle ne comprend pas ce que les médecins disent à cause de leur jargon technique. Donc ce que j’ai envie de dire, c’est : n’hésitez pas à poser toutes les questions, faites-vous des listes. C’est important de bien comprendre ce qui se passe. Ils sont là pour ça, pour mieux vous armer pour combattre la maladie.

C’est important de raconter comment s’est passé mon combat et ce que j’ai ressenti. Ça ne se passe pas pareil pour toutes les femmes. Par exemple, pour la chimio, quand tu ne l’as jamais vécue, tu ne sais pas trop comment ça va se passer. Le simple fait de recevoir de l’information à ce sujet peut suffire à mieux accepter les soins.

Photo d'une femme qui s'apprête à mordre dans un crabe pour parler du cancer différemment

Quels sont les retours des patients sur tes vidéos ?

En général, les patients sont contents que j’aborde des sujets un peu tabou. Quand je fais de belles photos et que je peux montrer mes seins même s’ils sont un peu « bancal », ils apprécient. Par exemple, pendant mes expositions, beaucoup de femmes se prennent en selfie devant mes dessins. Ça me fait vraiment plaisir. On me disait “ça fait du bien de voir enfin de belles choses autour de ce cancer”.

Qu’est-ce que ce projet t’apporte au quotidien ?

C’est une thérapie. À chaque fois, je me replonge dans ce que j’ai vécu. Ça fait plus de 2 ans que j’ai commencé à faire ces films et j’avais peur que les émotions s’en aillent. Je ne suis pas comédienne, mais dès que je replonge dans mes souvenirs du parcours de soin, l’émotion revient tout de suite. Parfois, je relis les notes que j’avais écrites à cette période et à chaque fois, ça me bouleverse. C’est un processus qui est très dur. Ce n’est pas anodin, je prends à chaque fois une claque dans la tronche.

Pendant le confinement, j’ai eu l’idée de faire la courbe du deuil revisitée. Dans le milieu du cancer, on ne peut pas trop parler de deuil parce que c’est trop dur. Je l’ai donc appelé la courbe du phoenix. J’ai dessiné toutes les étapes de cette courbe et j’ai décidé d’en faire une exposition. Il y a 14 tableaux qui représentent les différentes étapes. J’ai choisi que la dernière étape soit la guérison. Quand tu as un cancer, on ne te dit jamais que tu es guérie, on reste flou, on te parle de rémission. Or moi, j’aime bien pouvoir me dire que je suis guérie.

Le temps fait-il oublier la difficulté des traitements ?

Ma mère est adepte de la pensée positive, pour elle tout le monde est beau et tout le monde est gentil. Elle est très drôle, on pourrait faire une série sur elle. Âgée de 76 ans, elle a eu l’an dernier une reconstruction avec le lambeau du grand dorsal. Elle est sortie dès le lendemain de l’opération avec des 4 drains. Elle était en super forme !

Pour ma part, j’ai eu la chance de pouvoir faire ma reconstruction juste après le premier confinement. J’ai eu 3 interventions au total : une mastectomie avec reconstruction immédiate en octobre 2018. En juin 2020, j’ai été opérée d’une nouvelle reconstruction avec le lambeau du gracilis. Enfin, en novembre 2020, j’ai eu une opération de reconstruction de la symétrie des seins. La reconstruction est un parcours interminable. Sur mon profil instagram, j’aime beaucoup « glamouriser » mes photos. En particulier quand je traite d’un sujet sensible ou que je montre mes bleus, mes cicatrices. J’aime bien l’ambiguïté. Je n’ai pas peur de montrer mes cicatrices. En revanche, quand je redessine sur mes photos, c’est par pudeur. Un jour, j’ai commencé à lister toutes les interventions que j’ai eues. J’ai rempli une page A4 complète !

Qu'envisages-tu pour ta nouvelle vie ?

Photo d'Edith Desmarais qui présente un de ses livres visant à parler du cancer

Je pense qu’aucune femme ne ressort indemne de la maladie. Nous sommes marquées au fer rouge. J’ai décidé de complètement changer de vie, j’ai travaillé pendant 7 ans chez Chanel et ça m’a fait un vrai choc de partir. Je n’avais pas vraiment parlé de ma maladie au travail, j’avais seulement dit à 2 collègues que j’allais me faire opérer et que c’était grave.

Actuellement, je suis une formation en communication digitale. En effet, j’ai envie d’évoluer dans ma carrière. J’ai opté pour le graphisme car je me suis rendu compte qu’il y avait vraiment de grands besoins de parler autour du cancer. J’ai aussi participé à la formation “patient partenaire” à la Sorbonne et obtenu mon diplôme. 👏

L’association de patient partenaire et de ma formation en communication a donné naissance au projet Boop.

J’aimerais continuer à faire des séries de vidéos. Cela me permet d’aborder plus de thèmes. Je n’ai encore jamais vu de série avec de vrais patients, ce sont toujours des comédiens et je trouve ça vraiment dommage. On perd en fraîcheur et en authenticité.

J’écris aussi des livres pour faciliter l’échange entre parents et enfants autour du cancer, en parler différemment.

As-tu continué à travailler pendant tes traitements ?

Je me suis arrêtée de travailler pendant 6 mois seulement parce que je n’étais pas en CDI, je travaillais en tant qu’intérimaire avec un statut indépendant. Quand je suis tombée malade, j’ai été radiée de pôle emploi et indemnisée par la Sécurité Sociale. J’ai perdu la moitié de mon salaire. J’ai eu une chimiothérapie par EC et c’était horrible. Je me vois encore ramper par terre, j’étais très affaiblie. Mon meilleur ami, c’était le sol des toilettes ! Je descendais les escaliers de ma maison sur les fesses.

Retrouvez toutes les vidéos d’Edith et bien plus encore sur son site : https://www.boopproject.com/. Merci encore pour ce beau moment de partage.

Nous expédierons toutes les commandes passées jusqu’au 23 décembre à 16h.

Et reprendrons les livraisons le 2 janvier.

Passez de Belles Fêtes !